HOMMAGE A JEAN ROUCH

HOMMAGE A JEAN ROUCH

POUR LE CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DU CINEASTE

“FOLIE ORDINAIRE D’UNE FILLE DE CHAM”, un film de Jean Rouch d’après la mise en scène de Daniel Mesguich avec Jenny ALPHA, Sylvie LAPORTE, Catherine ROUGELIN sur un texte de Julius Amédé Laou.

JEAN ROUCH fait du théâtre filmé une véritable aventure de cinéma documentaire.

En 1984, au théâtre de la bastille,  DANIEL MESGUICH met en scène« Folie ordinaire d’une fille de Cham », de Julius Amédé LAOU, auteur antillais encore inconnu, avec JENNY ALPHA, SYLVIE LAPORTE et CATHERINE ROUGELIN. JEAN ROUCH vient voir la pièce et est littéralement interpellé et profondément touché. Il demande la permission à MESGUICH et son auteur de réaliser cette pièce pour le cinéma dans la lignée de ses films documentaires. Ils acceptent. Et le voilà parti pour la grande aventure, car il s’agissait bien là d’une aventure.

Reconstituer sans trahir le décor de Mesguich d’une façon réaliste une chambre d’hôpital psychiatrique. Rendre la mise en scène de Mesguich cinématographique en montant sur le plateau, envahissant les comédiennes de sa présence pour aller chercher l’émotion dont il avait été témoin lors des représentations. Pour lui, ce qu’il avait vu était vrai. Il voulait rendre de cette vérité. Un challenge réussi… en 16 mm. C’est littéralement bouleversant. 

 

Pieds nus, se donnant pour objectif de filmer en un long plan séquence la pièce pour garder l’émotion et la transe des comédiennes intactes. A deux caméras partant à une demi-heure de décalage pour pouvoir avoir le temps de charger les magasins au cours de la pièce qui défilait devant lui, Jean Rouch se métamorphose en Docteur CHARCOT et tourne la folie. La folie de Madame Amélie devenue schizophrène après la naissance de son fils, alors que son mari venait juste de mourir à la guerre de 14-18 et qui est restée, dans cette chambre de l’hôpital Saint-Anne, à Paris , prostrée dans le silence…               Filmer le travail d’une aide soignante, Fernande, avec laquelle la malade entre en communication, «la seule qu’elle accepte » et le borderline de Fernande, jouant aux rituels de Madame Amélie dans l’espoir d’une guérison… C’est magnifique et le public 30 ans après la création de la pièce et la sortie du film de Jean Rouch est encore plus touché par le contemporain et l’originalité de cette œuvre parfaite. Pour Daniel Mesguich, c’est une de ses plus belles mises en scène, la plus charnelle, la plus sensible puisqu’il s’est attaqué là à un huit-clos ; Et pour Jean Rouch c’est le pendant des « Maître Fous » au théâtre.

Ce qui est intéressant dans la réalisation de Jean Rouch, c’est que nous rentrons dans le cerveau de la malade, dans les infimes méandres de sa folie provoquée par un événement (la mort de son mari pendant sa grossesse) événement déclencheur d’une maladie qui était déjà là depuis longtemps. Maladie provoquée par le traumatisme d’une éducation. Le texte est très fort car il en appelle à l’esclavage et la colonisation de l’Eglise Catholique. Le rapt du cerveau, le rapt de la foi, le rapt de l’identité de milliers d’individus déportés et anéantis parce que, soi-disant, il aurait été inscrit dans la bible que  Cham, ancêtre de la race noire, ayant vu son père Noé nu une nuit d’ivresse, aurait été maudit. Et qu’il en résulterait que toute la race noire serait alors, par Dieu, damnée pour l’éternité et condamnée bibliquement à être l’esclave des autres races pour des siècles et des siècles.

Des écrits et des détournements pervers des écrits, par le Vatican. Jean Rouch en 1986, voulait aller à ROME, voir le PAPE avec ses bobines sous le bras, tant cette histoire lui retournait les sangs. Daniel Mesguich, lors de la création, parlait souvent du parallèle obligatoire à faire avec les victimes de la Shoah : Là encore, des siècles d’écrits honteux et honteusement protégés et cachetés par l’Eglise catholique. Des siècles de décrets, de lois, encourageant l’antisémitisme, le racisme et la xénophobie. Horrifiant !

L’histoire de cette pauvre folle en devient universellement noire. Ayant été violée, enfant, par le curé (comme beaucoup d’enfants aux Antilles durant l’esclavage) ce texte évidemment, est une bombe à retardement pour dénoncer les mensonges et les erreurs du colonisateur catholique.

La souffrance qui se dégage des deux personnages est réellement effroyable, et d’un cas particulier, on arrive à penser aux autres, aux descendants de ses deux femmes devenues le symbole de toute une communauté : « Antillais, êtres griffés, déchirés, misérables de nos richesses… » écrit  Julius amédé LAOU.

Loin de trahir la somptueuse et sensible mise en scène de Daniel Mesguich, Jean Rouch a filmé la «Folie ordinaire d’une fille de Cham » en s’infiltrant dans les moindres replis de la très grande direction d’acteurs que MESGUICH avait instaurée dans son travail.

C’est d’une focale différente, d’un axe différent. C’est ici la folie au microscope, psychanalyse de tout un peuple et revisitée par le maître du cinéma de transe et possession.

Les deux actrices, sont éblouissantes. Jenny ALPHA, est ici dans la meilleure interprétation de toute sa carrière et la touchante Sylvie LAPORTE est époustouflante de charité de compassion et d’empathie dans ce rôle. Elles sont toutes deux criantes de vérité et d’authenticité.

La Rédaction du ” Dooryder Express” la revue des Arts du siècle 21

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5 réponses

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