Catherine Terzieff

Catherine Terzieff

catherine terzieff

LE BORD DE L’EAU -Editions Laurent Terzieff, mon frère Une vie pour le théâtre Catherine Terzieff Collection Nouveaux Classiques dirigée par Antoine Spire Format 15X23-203 pages- 22€ En évoquant la vie et la mort de Laurent Terzieff, sa sœur cadette Catherine Terzieff lui rend un bel hommage. Au fil des 216 pages de ce récit écrit à l’encre de l’amour fraternel, l’auteur raconte ce qu’est une fin de vie en même temps qu’elle dévoile un Terzieff plus secret. Cet accompagnement d’un frère atteint d’une anorexie, habité par une énorme tristesse depuis la mort de sa compagne Pascale de Boysson, insurmontable fut, de l’aveu de l’auteur une souffrance et aussi un privilège . Elle pointe dans le répertoire de ce découvreur de textes les grands sujets du moment.. Elle redonne vie à ses réflexions sur le théâtre, un art sur lequel il concentra toutes ses forces. Parce qu’un homme de théâtre est un visionnaire, les réflexions des derniers jours de cet acteur-metteur en scène restent plus que jamais d’actualité, cinq ans après sa disparition le 2 juillet 2010 Ce témoignage est bien sûr essentiel, bouleversant par sa lucidité dans l’affection immense, puissant par sa franchise, il est aussi une réflexion d’une grande acuité sur la mort et la perte. Laurent Terzieff Laurent Terzieff est un grand nom du théâtre. Un de ceux qui ont marqué le vingtième siècle. Né en 1935, poète dans l’âme, le jeune homme devient comédien à 17 ans avec Jean-Marie Serreau le père de Colline Serreau dans une pièce de Brecht. Très vite, la beauté et la présence sur scène et la voix de ce comédien lui ouvrent les scènes les plus prisées. Il a tout juste 18 ans quand il joue, au Théâtre de l’Odéon, une Pièce de Paul Claudel : « Tête d’or » devant le président de la République d’alors, Charles de Gaulle. Laurent Terzieff aime jouer, sur les planches et pour le cinéma, mais sa carrière a été double car il s’est aussi très vite pris de passion pour la mise en scène. Dès 1963, il présente « la pensée » du russe Andreïev. Ensuite, il monte des pièces américaines, anglaises, polonaises, irlandaises ; deux Pirandello, deux Shakespeare, un Arthur Adamov. Grand amateur de poésie, il présente aussi des spectacles de poésie, toujours avec cette envie d’« interroger l’époque avec les outils de l’époque », comme il le répétait. Il termine en 2009 avec le « Philoctète » de jean Pierre Siméon , inspiré de Sophocle, à ce même théâtre de l’Odéon où il avait fait ses premiers pas. La pièce a un immense succès mais déjà les critiques ne s’y trompent pas, et y voient comme le testament de ce maître des planches. Plusieurs livres ont été rédigés sur sa carrière et son travail (deux thèses d’université, aussi). Claude Mauriac, qui lui a consacré une biographie en 1980, voyait en lui « un personnage de roman. Se déplaçant avec ses archives, les manuscrits qu’il doit lire, plus de livres qu’il n’en pourra ouvrir, des lettres auxquelles il ne répondra peut- être jamais. Quelques mois avant sa mort, Laurent Terzieff a obtenu le Molière 2010 du comédien, pour ses rôles dans deux pièces, L’Habilleur pour le théâtre privé et Philoctète pour le secteur subventionné. Il a aussi été récompensé du Molière du théâtre privé, avec la pièce L’Habilleur qu’il a mise en scène. Catherine Terzieff Catherine Terzieff réalise des documentaires. Les femmes et leurs combats, le monde du travail, l’architecture et les arts plastiques l’ont largement inspirée. Elle est aussi connue pour ses nombreuses contributions comme critique d’art. Un aperçu du livre en quelques morceaux choisis : Extraits Le bon moment pour mourir « C’est peut-être le bon moment pour mourir » me dit-il à plusieurs reprises, je grimace un sourire parfois, je réponds : « Tu sais bien, nous ne décidons pas ». Je triche, lui non. Il a décidé, le fait est là, évident. Il a accepté ou il a décidé ? Ou il a décidé d’accepter. Je ne sais pas vraiment. C’est sûr! Je suis effrayée. J’ai peur de cette fin, il en a peur aussi mais me donne souvent l’impression d’aimer cette peur. Je ne pense plus qu’à cela, quand et comment? Il y a quelques semaines, il me disait « vouloir bien mourir mais que cette mort soit au moins vivable ». Et là, ce n’est pas vivable. Errance médicale Avec chacun des médecins, longue consultation du dossier, écoute du malade. Quand Laurent était trop fatigué pour poursuivre, il se tournait vers moi : « Ma sœur va tout vous dire ». Ce fut la période la plus pénible – aucune espérance d’amélioration. Son cas était irréversible. Il comprenait peu à peu la signification des mêmes conseils prodigués par chacun des docteurs : « Rentrez chez vous, reposez-vous, tentez de manger, je ne vois pas l’utilité de vous hospitaliser… Cliniquement, il n’y a rien – vos poumons sont en mauvais état. Vous êtes affaibli par votre dénutrition. Vous nourrir par perfusion ne pourra se faire plus de trois ou quatre jours, vos veines ne tiendront pas… cela vous fera perdre complètement l’appétit… Le chemin fut long. Il la « relit » sa vie, sur son lit d’hôpital où l’on ne peut rien pour lui – on ne me le cache pas, on ne le lui cache pas. Il est usé, épuisé, il faudrait qu’il prenne du temps pour récupérer quelques forces, pour récupérer son corps mais il ne peut pas s’arrêter. Il est arrivé au point de non retour, celui dont mon généraliste m’avait parlé il y a quelques années répondant alors à ma question : « Jusqu’où peut-il aller ? »… « La poésie dévaste la vie courante » a dit Henry Bauchau. Laurent lui répondrait « la poésie transcende le réel ». Il voulait tirer tout vers le haut, donner de la hauteur aux choses. Il aurait ramassé des chiffons au sol pour en faire des parures de mariés, il n’y avait pas de mots sales, de pensées disgracieuses. Chaque sentiment, chaque objet pouvait se grandir et trouver sa place et son utilité. Court séjour à Taverny Deux jours avant sa mort, Laurent recevait le décorateur scénographe, Ludovic Hallard pour une séance de travail à cette maison dite « de convalescence » où l’hôpital de la Pitié l’avait envoyé. Cet après-midi là, Ludovic resta deux heures pleines à travailler avec Laurent, un Laurent que je retrouvais épuisé, le souffle court, mais le regard intense, illuminé de joie, comme brulant de l’intérieur : « Il me propose un décor comme je les aime : quelque chose de très simple, très beau, très inventif… il est formidable. Il faut que je retrouve ma forme. Va voir le docteur qui dirige le service, dis lui que je veux guérir vite, dis lui que je dois commencer les répétitions dès début septembre !». Laurent délire. Cette envie brutale de vivre vient trop tard et me désarme. J’en pleurerais de rage, de regret aussi. Je le laisse sur cette terrasse, décidée à parler au médecin. Je réclame une entrevue, le cœur battant, tout à coup folle d’espoir. Je presse l’assistante de retrouver ce médecin dans les étages et de lui faire savoir que je voudrais le voir. Elle me demande de m’asseoir et me prie de me calmer…. Enfin, le voilà, le docteur en charge de ce service et qui connaît le cas difficile dont on l’a chargé, cas insoluble de celui qui veut vivre mais ne s’autorise pas à manger. Je reprends contact avec la réalité, la vraie, celle qui fait mal… Son Premier Théâtre, notre propre logement…. Souvent, je pense que son premier théâtre fût celui auquel il a refusé de dire adieu: l’appartement-atelier de nos parents, rue des Volontaires. Celui qui possédait une loggia et une verrière de six mètres de haut. Il suffisait de se pencher à la balustrade pour observer depuis là-haut ce qui se passait en bas. En bas, c’était la scène, nous nous y déplacions, acteurs d’une pièce improbable tandis que, sous la loggia, notre mère au piano, enchaînait fugues et sonates. Ce théâtre là, notre logement, notre nid fut en fait le premier théâtre de Laurent, non qu’il s’y donna à voir, non ! Mais c’est là qu’il observait ce qui se jouait entre les divers personnages d’une famille. Je le vois encore sur le petit côté de la balustrade, appuyé sur ses coudes et n’en finissant pas de réfléchir. C’était sa place et il s’y adonnait à son activité principale : observer. Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours vu Laurent réfléchir. C’était un adolescent réfléchi, ce fut un homme réfléchi. C’est cette image là, Laurent adolescent, accoudé à la balustrade qui m’a traversé l’esprit le jour où je découvris le film de Wim Wanders « Les Ailes du désir ». Laurent était l’ange, qui regardait nos vies.

facebooktwittergoogle_plusredditpinterestlinkedinmail

Vous pourriez aussi aimer...

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Translate »