Tayeb Belmihoub

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LETTRE OUVERTE A FABIEN MARSAUD DIT GRAND CORPS MALADE

« L’artiste n’est pas un homme spécial mais chaque homme est un artiste particulier » Ananda Coomaraswammy


Cher Fabien,

Plutôt que de t’appeler, j’ai pris le parti de t’écrire, t’écrire ma profonde tristesse. Celle de te voir orchestrer le lynchage programmé d’un homme dont tu ne partages pas les idées. Si je n’avais la preuve irréfutable de ton implication dans cette tentative de mise à mort médiatique et politique, jamais je ne l’aurais cru et je me serais élevé face à ceux qui t’accusent, certain que tu n’es pas homme à participer à une aussi lamentable entreprise.

Pourtant tu m’avais prévenu, ton producteur et toi m’aviez prévenu. J’allais voir de quoi vous étiez capable ! C’est vrai que je ne vous ai pas crus, que je n’ai pas voulu vous croire, jusqu’à ces dernières heures où me sont parvenus les échos de votre chasse à l’homme…

Les raisons de cette chasse à l’homme ?
Suite à tes exigences, l’annulation, par le maire du Blanc-Mesnil, Thierry Meignen, du concert que tu devais donner le 21 Mai au Théâtre 9 (ex Forum).

Pourquoi je t’écris cette lettre ?
Je t’écris parce qu’il y a quelques mois, j’ai été nommé, dans cette ville, directeur des affaires culturelles, à la demande d’un ami commun, maire adjoint à la culture. Tu sais par ailleurs, par ton producteur, que je connais depuis plus de 15 ans, que mon parcours d’homme et d’artiste est toujours resté en dehors de tout système, de tout parti, de toute idéologie.

Je t’écris parce que nous nous connaissons depuis près de 10 ans, parce que je t’ai vu démarrer, comme on dit, parce que j’ai cru en ton talent à la première seconde où je t’ai entendu sur la scène du Réservoir à Paris et que, depuis, tu m’as toujours été reconnaissant de cette confiance des premières heures… Bien avant que les médias et les politiques ne deviennent tes « amis » !

Je t’écris parce que nous avons décidé de te programmer, avec l’aval du maire du Blanc-Mesnil, Thierry Meignen, sans autre considération que la qualité artistique de ta proposition scénique. Enfin, près de dix ans après ton dernier passage, les habitants de ta commune de naissance allaient te retrouver. Nous nous faisions tous une telle joie de t’accueillir !

Je t’écris parce que le maire a appris, incidemment, que tu as invité, pour interpréter la dernière chanson de ton concert, un de tes amis, un certain Rachid Taxi. Le problème est qu’il apprend également que ton ami, opposant notoire de la municipalité, envisage de mettre à profit sa participation pour dénigrer publiquement le maire et sa politique, sur la scène du théâtre municipal.

Je t’écris parce que face à cette éventualité et suite aux garanties demandées par le maire pour que ton invité s’abstienne d’une telle dérive, tu as eu pour seule réponse : «La scène m’appartient pendant 2 heures. Je fais venir sur scène qui je veux et cette personne peut dire ce que bon lui semble sinon je ne jouerai pas, sinon, on va le déchirer ton maire. On va alerter tous les médias et nos réseaux en Seine St Denis…. » Je t’ai rétorqué, que je désapprouvais le principe qui conférerait à l’artiste un tel pouvoir et le procédé que tu comptais utiliser pour l’obtenir. Je t’ai rappelé aussi que tu ne pouvais considérer le théâtre municipal du Blanc-Mesnil comme ton bien personnel et privé.

Je t’écris parce que tu n’as pas voulu m’entendre. Tu as vociféré tes récriminations et ta déception de me voir « servir un maire facho ». Tu t’es mis à parler comme un procureur et ta voix habituellement si mélodieuse s’est teintée d’une inquiétante couleur « Tu te rends compte pour qui tu bosses !? »… As-tu en retour mesuré tout ce que sous-entendait ta question ? Les municipalités qui t’accueillent, ont elles jamais demandé à tes producteurs de produire un certificat de probité ?

Je t’écris parce que je considère que les moyens « d’expressions massives » que tu utilises pour protéger ton ami, si légitimes qu’ils puissent paraître, ne sont pas appropriés. Ils sont destructeurs et affaiblissent la cause que tu prétends défendre.

Je t’écris parce que la colère t’aveugle et que la raison du plus fort s’est emparée de ton verbe.

Je t’écris parce que tes alliés de circonstances se moquent de ton combat comme de leurs premières promesses, qu’ils soient ministre, président de je ne sais trop quel conseil, présentateur télé… Tous ces faux amis ne te soutiennent dans cette curée que par intérêt de leur propre carrière et les unités de mesure qu’ils utilisent pour évaluer ton potentiel porte le nom d’urne et médiamétrie.

Je t’écris parce que je suis conscient que les avis sur la question qui nous oppose, seront aussi partagés que les opinions politiques qui font déclarer à certains que l’erreur et l’intolérance est toujours chez « l’autre », celui qui ne partage pas notre point de vue. Ce n’est d’ailleurs pas cet aspect qui me soucie le plus.

Ce qui me préoccupe, ce sont les raisons qui amènent un jeune artiste, pétri d’une humanité forgée dans la souffrance et l’effort, à passer d’un discours humaniste à une démarche brutale.
Ce qui m’interpelle, c’est ce que tu sembles avoir oublié les fondements même des vertus que tu déclames : Union, paix, tolérance, vivre ensemble…
Ce qui me désole, c’est de constater que le jeune homme que j’ai connu et qui doutait de son talent, est passé de l’humilité au péremptoire, du consensus au rigide, du meilleur de l’orient au pire de l’occident. Je sais le pouvoir destructeur de la notoriété. Je sais tout ça. Pourtant, j’ai eu la naïveté de croire que Grand Corps Malade était, par sa souffrance et sa conscience, à l’abri de ces illusions.

Je t’écris parce que je crains que notre relation ne soit durablement affectée par cette triste aventure.

Je t’écris pour attester que personne, au sein de cette municipalité, n’a songé un seul instant à te censurer. Lapalisse n’aurait pas désavoué mon raisonnement : Si nous avions eu la moindre intention de te censurer, tu n’aurais simplement jamais été programmé au Blanc-Mesnil, aucun contrat n’aurait jamais été signé et je n’aurais jamais eu à écrire cette lettre.

Je t’écris pour te rappeler l’incommensurable privilège dont nous jouissons en tant qu’artiste et qui nous permet de nous exprimer publiquement sans autre censure que celle que nous nous imposons.

Je t’écris pour te rappeler notre devoir de ne pas feindre d’ignorer les contextes dans lesquels nous intervenons et d’apaiser les esprits plutôt que de les échauffer. L’autisme coupable, dont certains font preuve à cet égard, est souvent cause d’événements dramatiques. Toi et moi, connaissons le pouvoir et la puissance du Verbe qui peut tantôt soigner ou blesser, faire vivre ou mourir.

Je t’ai écrit cette lettre, Grand Corps Malade, parce qu’il est encore temps d’ajouter un alif à ton slam. Un alif qui dans la langue de mes ancêtres paternels s’écrit d’un trait droit et vertical. Droit et vertical comme la voie étroite, la voie de l’union sur laquelle ni le lynchage, ni la vengeance, ni la guerre ne trouveront jamais leur place.

La voie du Salam, la voie de la Paix.

S(a)lam alaikoum Fabien,

Tayeb Belmihoub
t.belmihoub@blancmesnil.fr

 

20/05/2015
Copyright Tayeb Belmihoub 2010

 

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