PATRICE CHEREAU nous a quitté RIP

Patrice Chéreau, né le 2 novembre 1944 à Lézigné (Maine-et-Loire), et mort à Paris le 7 octobre 2013, est un metteur en scène de théâtre et d’opéra,réalisateur et scénariste de cinéma, et acteur français. Ses travaux combinent recherches plastiques, réflexions politiques et exploration des obsessions humaines.

Biographie[modifier | modifier le code]

Jeunesse[modifier | modifier le code]

Il compte parmi ses ancêtres, Edmé Claude Laurent Brière de l’Isle (1779-1849), par ailleurs père du général Brière de l’Isle, qui eut trois fils de Cythère, une jeune métisse libre, enfants qu’il devait ultérieurement reconnaître.

Patrice Chéreau est le fils cadet d’un couple de peintres. Installés à Paris, ses parents le sensibilisent à l’art et la culture en l’emmenant régulièrement visiter des expositions et assister à divers spectacles. Il entre au lycée Louis-le-Grand et rejoint la troupe de théâtre de son établissement1. Être acteur ne lui suffit pas : il met en scène les spectacles de lycéens et se lance dans la conception des décors et des costumes. Par la suite, il étudie l’allemand et les lettres classiques au niveau supérieur avant de se consacrer définitivement à la scène.

Les débuts au théâtre[modifier | modifier le code]

En 1966, à 22 ans, dans la France d’avant-mai 68, il prend la direction du Théâtre de Sartrouville. Comme la plupart de ses compagnons, il s’engage dans un théâtre politique où il affiche des positions affirmées. En 1965, il met en scène L’Héritier de village de Marivaux puis l’année suivante une pièce d’Eugène Labiche : L’Affaire de la rue de Lourcine. Chéreau divise et compte déjà autant d’adeptes que d’ennemis2. Il assure également la mise en scène des Soldats de Jakob Michael Reinhold Lenz, en 1967, qui reçoit le Prix du Concours des Jeunes Compagnies2.

À Sartrouville, il s’entoure par ailleurs du décorateur Richard Peduzzi, de l’éclairagiste André Diot et du costumier Jacques Schmidt pour monter deux pièces chinoises (La Neige au milieu de l’été et Le Voleur de femmes) qui marquent les esprits pour leurs décors mélangeant plates-formes, poulies et passerelles2.

La faillite, en 1969, du Théâtre de Sartrouville le pousse vers l’Italie, où il intègre le Piccolo Teatro de Milan, à la demande de Paolo Grassi. Il travaille en même temps en France où il se met en scène, àMarseille, dans Richard II de William Shakespeare. Il monte également une nouvelle version de Don Juan de Molière à Lyon2. Ces deux spectacles montrent à nouveau le soin maniaque qu’il accorde aux décors : ils constituent une machine faite pour « tuer le libertin » dans la seconde pièce et une « machine-piège » dans la première où Chéreau fait du protagoniste un enfant vulnérable, perdu et seul3,2.

De 1971 à 1977, il dirige avec Roger Planchon et Robert Gilbert le Théâtre national populaire de Villeurbanne auquel il donne de nouvelles ambitions, proches des idéaux de mai 68. Il y met notamment en scène Le Massacre de Paris de Christopher Marlowe où la scénographie et les lumières animent une série de tableaux baroques sur la nuit de la Saint-Barthélemy : machinerie infernale, cadavres répandus dans une eau noire où apparaissent les fragments d’une lune brisée et où résonnent les pas de clowns macabres2

En 1973, il monte La Dispute de Marivaux au Théâtre de la Gaîté2.

Patrice Chéreau vit une expérience exceptionnelle, lorsque Pierre Boulez lui demande de mettre en scène, pour le centenaire du Festival de Bayreuth en 1976, dans le Palais des festivals, sanctuaire deRichard Wagner, les quatre opéras de la Tétralogie du compositeur allemand. Sa mise en scène, déplaçant le mythe nordique des Nibelungen dans le XIXe siècle industriel et capitaliste contemporain de Wagner4, provoque un scandale lors des premières représentations, avant de le rendre célèbre sur le plan international et d’être finalement saluée par quatre-vingt-cinq minutes d’applaudissements et cent un levers de rideau, lors de la dernière représentation, le 26 août 19805.

En 1979, Boulez fait à nouveau appel à lui pour la mise en scène de Lulu d’Alban Berg avec la soprano Teresa Stratas dans le rôle-titre2. Leur collaboration fait encore date2.

Son fécond travail de metteur en scène est rapidement et très largement reconnu en Europe pour son goût de l’innovation esthétique et de l’image fastueuse2. Son inspiration visuelle et son lyrisme laissent une place importante au mystère, à la fantasmagorie et à l’hyper-expressivité des corps, mêlant sensualité et jeu d’acteurs archaïque (expressions grotesques, maquillage outrancier, gestes violents ou ritualisés…)6. Héritier, comme ses confrères Bernard SobelAriane MnouchkineRoger Planchon et Giorgio Strehler de Bertolt Brecht pour la notion de distanciation et d’art engagé ou d’Antonin Artaud pour l’idée de théâtre de la cruauté7, Chéreau franchit, pour certains critiques, une étape décisive dans la représentation théâtrale et donne une nouvelle signification à l’espace scénique tant par la réflexion artistique qu’il propose que par l’immense succès que rencontrent ses créations8. Son univers plastique trouve une sphère d’influence assez large : il reconnaît notamment l’expressionnisme allemand et l’œuvre d’Orson Welles (qu’il découvrit dans sa jeunesse à la cinémathèque) comme des modèles fondateurs8.

Ses premiers films[modifier | modifier le code]

Pour Chéreau, le cinéma garde en commun avec le théâtre l’unité de lieu et de temps : les scènes deviennent à l’écran des séquences. Mais pour lui le cinéma permet de mieux mettre en valeur les émotions picturales de son enfance et de mieux illustrer les tourments de l’âme. Il invente donc un cinéma singulier, sensible à certaines recherches stylistiques et oscillant entre grand spectacle flamboyant et intimisme. Ses réalisations cinématographiques ne sont reconnues que tardivement. Son premier long métrage, La Chair de l’orchidée, adapte avec liberté, en 1974, le roman éponyme de James Hadley Chase et élabore un univers à la lisière du fantastique, privilégiant les thèmes du désir, de la folie et de la mort.

Son deuxième film, en 1978Judith Therpauve avec Simone Signoret dans le rôle-titre, bien que très dense et voulu ancré dans une réalité sociale contemporaine, semble pourtant être son œuvre la moins aboutie.

En 1982, il met en scène sur deux soirées Peer Gynt d’Henrik Ibsen au Théâtre de la Ville qui révèle Dominique Blanc, son actrice fétiche2,9.

Les Amandiers[modifier | modifier le code]

De 1982 à 1990, Chéreau dirige la maison de la culture de Nanterre, devenue Théâtre Nanterre-AmandiersCentre dramatique national à son arrivée. En 1983, après Combat de nègre et de chiens, de son amiBernard-Marie Koltès dont il fait connaître l’œuvre, il monte Les Paravents de Jean Genet en farce sulfureuse, utilisant la salle comme extension de la scène. Le décorateur Richard Peduzzi y représente un cinéma de Barbès, inquiétant et délabré2.

Chéreau alterne ensuite avec bonheur le classique (MarivauxMozart…) et le contemporain (Heiner Müller, Koltès…), s’amusant à malmener la noblesse du xviiie siècle, vue comme futile et vaniteuse (Lucio SillaLa Fausse SuivanteQuartett)2. Il trouve également le temps de se consacrer à sa carrière d’acteur, interprétant Camille Desmoulins dans Danton d’Andrzej Wajda et Napoléon dans Adieu Bonaparte deYoussef Chahine.

Durant cette période, il réalise son film le plus personnel, L’Homme blessé en 1983 qui dérange pour sa peinture désenchantée d’une époque puis par l’évocation d’une crise d’identité sexuelle. Pour ce film, il obtient, avec Hervé Guibert, le César du meilleur scénario original en 1984. En 1987, il présente au Festival de Cannes Hôtel de France, transposition du Platonov de Tchekhov dans une époque moderne. Le film est interprété par la jeune génération des comédiens formés aux Amandiers dont Valeria Bruni TedeschiLaurent GrévillBruno TodeschiniMarianne DenicourtAgnès Jaoui et Vincent Pérez. L’année suivante, il montre au Festival d’Avignon sa mise en scène d’Hamlet de Shakesperare qui fait date pour la prestation de Gérard Desarthe dans le rôle-titre puis pour l’inclusion de morceaux de musique contemporaine dans le déroulement de la tragédie. Le travail de Chéreau est récompensé par un Molière en 1989. C’est à cette époque que Pascal Greggory devient son compagnon et l’un de ses acteurs fétiches10.

La maturité[modifier | modifier le code]

À la fin de la saison 19891990, Chéreau quitte le théâtre des Amandiers. Il se consacre à l’opéra (Wozzeck, de Berg, 1993 ; Don Giovanni, de Mozart, 1994) et à la préparation d’une fresque cinématographique sur le massacre de la Saint-BarthélemyLa Reine Margot. Ce film à grand spectacle, sanglant, shakespearien et porté par l’interprétation d’Isabelle Adjani, est tiré d’un roman d’Alexandre Dumas. Le scénario a été écrit sur quatre ans en collaboration avec Danièle Thompson. L’œuvre reçoit deux récompenses à Cannes en 1994 : le prix du Jury et le prix d’interprétation féminine pour Virna Lisi qui tient le rôle de Catherine de Médicis. Puis, l’année suivante, La Reine Margot gagne cinq trophées lors de la 20e cérémonie des Césars dont ceux de la meilleure actrice pour Isabelle Adjani et des meilleurs seconds rôles féminin et masculin pour Virna Lisi et Jean-Hugues Anglade.

En parallèle, Chéreau met en scène à l’OdéonLe Temps et la Chambre de Botho Strauss puis une nouvelle version de Dans la solitude des champs de coton, deBernard-Marie Koltès, en 1995.

Il réalise, trois ans plus tard, Ceux qui m’aiment prendront le train qui convie le spectateur à vivre une journée particulière dans la vie d’une quinzaine de personnages en crise, rassemblés dans un train pour Limoges pour se rendre à un enterrement. Sur la base d’une histoire coécrite une nouvelle fois avec Danièle Thompson, le metteur en scène y dévoile l’acuité de son regard sur les conflits intimes et familiaux et y diffuse une tension dramatique, représentative de son style. Le film est sélectionné au 51e Festival de Cannes et se voit décerner trois Césars : Meilleur réalisateur pour Chéreau, Meilleur second rôle pour Dominique Blanc et Meilleure photographie pour Éric Gautier.

En 2000, il tourne, pour la première fois à l’étranger et en anglais, Intimité, tiré de certains récits d’Hanif Kureishi, qui rencontre le succès auprès du public. Absent de la sélection cannoise, il remporte l’Ours d’or à Berlin en 2001 et vaut à Kerry Fox l’Ours d’argent de la meilleure actrice. Le film obtient également le Prix Louis-Delluc en 2002. Ce drame traite de l’échec d’une relation amoureuse et prend pour trame de départ l’histoire de deux personnes égarées ne connaissant rien l’une de l’autre mais réunies chaque semaine pour avoir des rapports sexuels.

Chéreau met ensuite en scène l’un de ses plus grands triomphes aux Ateliers Berthier du Théâtre de l’Odéon : Phèdre de Racine. Sa mise en scène fait exploser la diction de l’alexandrin classique. Le rôle-titre est confié à Dominique Blanc et celui de Thésée à Pascal Greggory.

En 2003, avec la sortie de Son frère, adapté d’un roman de Philippe Besson, il dépeint avec pudeur et retenue le drame d’une famille divisée face à la mort imminente d’un de ses membres. La même année, il est le président du jury du festival de Cannes.

En 2005, il revient au film à costume avec Gabrielle, adapté d’une nouvelle de Joseph Conrad, qui plonge Pascal Gregory et Isabelle Huppert dans le néant sentimental d’un couple de bourgeois du début duxxe siècle. Ce huis clos, porté par des dialogues énigmatiques et une atmosphère sépulcrale, développe une esthétique post-moderne, alternant le noir et blanc et la couleur et utilisant des cartons comme dans le cinéma muet. Sur le plan thématique et visuel, le film fait également référence à Marcel ProustIngmar BergmanLuchino Visconti et à l’opéra expressionniste.

En 2006, le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres le nomme président de la Fémis, qu’il quitte quelques mois plus tard, « la mort dans l’âme », au motif d’un emploi du temps surchargé11. Le cinéaste Claude Miller lui succède à ce poste.

En décembre 2007, il met en scène Tristan et Isolde de Richard Wagner à la Scala de Milan sous la direction de Daniel Baremboim.

En mars 2008, il a fait partie de la commission présidée par Hugues Gall et chargée par Christine Albanel, alors ministre de la Culture, de pourvoir le poste de directeur de la Villa Médicis à Rome.

Fin 2008, il retrouve sa complice Dominique Blanc dans La Douleur, d’après Marguerite Duras, spectacle à mi-chemin entre le théâtre et la lecture qu’il monte au Théâtre de Nanterre12. Pour sa prestation, Blanc est récompensée d’un Molière en 2010.

En 2009, il présente Persécution, son nouveau film, à la Mostra de Venise.

En 2010, Chéreau est invité à concevoir une exposition au musée du Louvre. Il met alors en scène, dans une scénographie particulière qui évoque à la fois l’histoire de la peinture et son univers intime, une quarantaine de tableaux issus des collections du musée du Louvre, du Centre Georges-Pompidou et du musée d’Orsay. Pour l’occasion, il donne, au Louvre, une représentation exceptionnelle de Rêve d’Automne de Jon Fosse avec Valeria Bruni-TedeschiPascal GreggoryBulle OgierMarie BunelMichelle MarquaisClément Hervieu-LégerAlexandre Styker et Bernard Verley13.

En juillet 2013, sa mise en scène d’Elektra de Richard Strauss, triomphe au Festival d’Aix-en-Provence14,15.

Il travaillait, avant son décès d’un cancer du poumon, sur l’adaptation d’un roman de Laurent MauvignierDes hommes16,17.

Engagement politique[modifier | modifier le code]

Participant à la manifestation organisée par la gauche et réprimée à la station Charonne en 196218, il soutient François Mitterrand en 1981 et 1988 puis Lionel Jospin en 1995 et 2002. Fidèle au camp socialiste, il appelle à voter Ségolène Royal en 200719. Lors de la primaire de 2011, en vue de la désignation d’un candidat socialiste à l’élection présidentielle, il apporte son soutien à Martine Aubry20.

Filmographie[modifier | modifier le code]

Réalisateur[modifier | modifier le code]

Scénariste[modifier | modifier le code]

Acteur[modifier | modifier le code]

Mises en scène de théâtre[modifier | modifier le code]

1966-1969 Directeur du théâtre de Sartrouville
1970-1972 Travail au Piccolo Teatro Milan
1972-1981 Codirecteur du TNP Villeurbanne
1982-1990 Codirecteur du Théâtre des Amandiers Nanterre

Mises en scène d’opéras[modifier | modifier le code]

Distinctions[modifier | modifier le code]

Prix et nominations[modifier | modifier le code]

Cinéma[modifier | modifier le code]

Césars[modifier | modifier le code]

Festival de Cannes[modifier | modifier le code]

Mostra de Venise[modifier | modifier le code]

Berlinale[modifier | modifier le code]

Autres[modifier | modifier le code]

Théâtre[modifier | modifier le code]

Molières[modifier | modifier le code]

Autres[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1.  Georges Friedenkraft, Article « Patrice avant Chéreau », Nouvelles Rive Gauche, 1990, 154, 16-17
  2. ↑ abcdefghijkl et m (frArticle de l’encyclopédie Larousse sur Patrice Chéreau [archive], consulté le 25 octobre 2012.
  3.  Comme le note l’encyclopédie Larousse
  4.  Christian MerlinWagner mode d’emploiL’Avant-Scène Opéra, p. 165
  5.  Vidéo INA : Interview de Patrice Chéreau le 27-8-1980 / 85 minutes d’applaudissements, 101 levers de rideau le 26-8-1980 [archive]
  6.  Article sur Patrice Chéreau dans l’Encyclopædia Universalis [archive]
  7.  Article sur le théâtre occidental contemporain dans l’Encyclopædia Universalis [archive]
  8. ↑ a et b Site du ciné-club de Caen : article sur Patrice Chéreau [archive]
  9.  Biographie de Dominique Blanc sur Allocine.fr [archive], consultée sur le 26 octobre 2012.
  10.  (en« Patrice Chéreau: ‘It’s OK to be hated’ » [archive] dans The Guardian du 25 avril 2011.
  11.  Voir sur tf1.lci.fr. [archive]
  12.  [vidéo] Dailymotion « La Douleur : interview de Patrice Chéreau [archive] », consulté le 26 octobre 2012.
  13.  Chéreau au Louvre [archive].
  14.  « À Aix, l’incandescence des grands soirs pour Elektra » [archive]Les Échos, 12 juillet 2013.
  15.  « Elektra de Richard Strauss au Festival d’Aix-en-Provence » [archive]Arte, 19 juillet 2013.
  16.  Le Magazine Littéraire [archive]
  17.  Mort de Patrice Chéreau [archive], sur Libération. Mis en ligne le 7 octobre 2013, consulté le 7 octobre 2013
  18.  René Solis, « Jouer à se faire peur », Libération, 21 novembre 1998.
  19.  « Avant qu’il ne soit trop tard » [archive]Le Nouvel Observateur1er mars 2007.
  20.  Sylvie Santini, « “Sarkozy” votera François Hollande », Paris Match, 7 octobre 2011 [texte intégral [archive]]
  21.  (dePatrice Chéreau – Seit 2003 Mitglied der Akademie der Künste, Berlin, Sektion Darstellende Kunst [archive]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

Aidez à améliorer cette page

Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ?

facebooktwittergoogle_plusredditpinterestlinkedinmail

Vous pourriez aussi aimer...

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Translate »